Rodin dans son atelier, photographié par Dornac, 1898
Dans L’Art, Rodin écrit : "C’est là tout le secret des gestes que l’art interprète. Le statuaire contraint, pour ainsi dire, le spectateur à suivre le développement d’un acte à travers un personnage. Dans l’exemple que nous avons choisi, les yeux remontent forcément des jambes au bras levé, et comme, durant le chemin qu’ils font, ils trouvent les différentes parties de la statue représentées à des moments successifs, ils ont l’illusion de voir le mouvement s’accomplir."
Texte
Pourquoi sculpter ? La réponse de Rodin.
"Ce qui manque le plus à nos contemporains, c’est, il me semble, l’amour de leur profession. Ils n’accomplissent leur tâche qu’avec répugnance. Ils la sabotent volontiers. Il en est ainsi du haut en bas de l’échelle sociale. Les hommes politiques n’envisagent dans leurs fonctions que les avantages matériels qu’ils peuvent en tirer, et ils paraissent ignorer la satisfaction qu’éprouvaient les grands hommes d’État d’autrefois à traiter habilement les affaires de leur pays. Les industriels, au lieu de soutenir l’honneur de leur marque, ne cherchent qu’à gagner le plus d’argent qu’ils peuvent en falsifiant leurs produits ; les ouvriers, animés contre leurs patrons d’une hostilité plus ou moins légitime, bâclent leur besogne. Presque tous les hommes d’aujourd’hui semblent considérer le travail comme une affreuse nécessité, comme une corvée maudite, tandis qu’il devrait être regardé comme notre raison d’être et notre bonheur. Il ne faut pas croire d’ailleurs qu’il en ait toujours été ainsi. La plupart des objets qui nous restent de l’ancien régime, meubles, ustensiles, étoffes, dénotent une grande conscience chez ceux qui les fabriquèrent. L’homme aime autant travailler bien que travailler mal ; je crois même que la première manière lui sourit davantage, comme plus conforme à sa nature. Mais il écoute tantôt les bons, tantôt les mauvais conseils ; et c’est actuellement aux mauvais qu’il accorde la préférence. Et, pourtant, combien l’humanité serait plus heureuse, si le travail, au lieu d’être pour elle la rançon de l’existence, en était le but ! Pour que ce merveilleux changement s’opérât, il suffirait que tous les hommes suivissent l’exemple des artistes, ou mieux qu’ils devinssent tous des artistes eux-mêmes : car le mot dans son acception la plus large signifie pour moi ceux qui prennent plaisir à ce qu’ils font. Il serait à désirer qu’il y eût ainsi des artistes dans tous les métiers : des artistes charpentiers, heureux d’ajuster habilement tenons et mortaises ; des artistes maçons, gâchant le plâtre avec amour ; des artistes charretiers, fiers de bien traiter leurs chevaux et de ne pas écraser les passants. Cela formerait une admirable société, n’est-il pas vrai ? Vous voyez donc que la leçon donnée par les artistes aux autres hommes pourrait être merveilleusement féconde."
Rodin, L'Art
Questions
1. Quel est le but de l'art selon Rodin ?
2. En quoi cette idée rectifie-t-elle l'opinion que l'on se fait du travail de l'artiste?
3. Quelles causalités Rodin met-il en œuvre ?
4. D'où semble surgir la force créatrice de l'œuvre ?